Pourquoi tu n’es pas née, Marguerite

Voici un extrait que tu retrouveras dans le tome 2 de ma série Le dernier continent, Racines croisées.

Le livre n’est pas encore publié, mais j’ai eu envie de vous partager ce passage qui m’est très cher. En fait, c’est une lettre très intime qui relate une de mes histoires personnelles.

Dernièrement, on m’a fait remarqué que ce texte pourrait, à sa façon, aider certaines personnes.

Alors, voilà. Vois-le comme mon cadeau de nouvelle année!

J’ai rédigé la lettre pour Marguerite il y a plusieurs années, quelque part en novembre 2020 . Cette lettre, destinée à l’enfant que je n’aurai pas, a fait parti de mon processus de deuil. Le deuil de la famille que j’avais en tête. J’aurais aimé avoir trois enfants. Je n’en ai que deux.

Rapidement, je réponds à vos questions:

Oui, il m’en manquera toujours un. Mais ça va.

Non, je n’en veux pas à mon mari. Je ne lui ai en jamais voulu. (sauf le premier 24 heures. Ok, 48 heures.)

Oui, il a trouvé difficile de se respecter alors que son choix me faisait de la peine.

Oui, il a pleuré en lisant cette lettre.

Non, ce n’est pas un avortement, mais une décision de contraception.

Oui, je crois que malgré tout, c’était la bonne décision.

Oui, Marguerite est le nom que j’aurais donné à mon troisième enfant. (Pour un garçon, ça aurait sans doute été Mathéo.)

Maintenant, bonne lecture.

P.S. Cette version n’est pas l’original, mais elle s’y rapproche.

« Bonjour, je m’appelle Clara et je suis ta maman. En fait, pas vraiment. 

Tu n’es pas née.

Je n’aurai pas le privilège de te bercer ou de te couvrir de baisers. Cette absence de possibilités creuse un trou immense dans ma poitrine. Si tu savais comme j’aurais souhaité que ce soit différent !

Sache que dans mon cœur, tu existes, ma belle Marguerite, et c’est pour cette raison que j’ai choisi d’écrire ce journal. J’aimerais que tu comprennes pourquoi ton papa et moi avons jugé qu’il serait mieux que tu ne te joignes pas à nous. 

En fin de compte, je dois admettre que c’est la bonne décision, aussi déchirante soit-elle. Alors voilà, laisse-moi t’expliquer.

Un soir, ton papa et moi avons eu une discussion. Une conversation de grandes personnes. Il m’a avoué — à contrecœur — qu’il ne te désirait pas, alors que moi, je te faisais déjà une place dans notre vie. Il a admis être comblé par nos deux enfants et qu’un troisième serait trop pour lui.

Tu sais, je te voulais si fort que je t’avais imaginée dans ma tête. Tu es magnifique et rayonnante. Comme ton frère, tu as les yeux noisettes mais les cheveux blonds bouclés de ta grande sœur.

Lorsque je me concentre, je te vois clairement. Tu portes une robe rose et deux tresses tombent de chaque côté de ton visage. Tu aimes te promener dans les champs fleuris et courir pour attraper des papillons.

Je te vois, je te connais… mais tu ne naîtras pas.

Crois-moi quand je te dis que ce n’est pas par manque d’amour. Au contraire, si tu savais comme tu es aimée !

Ton papa t’aime assez pour avouer qu’il ne serait pas disponible pour toi. Il veut découvrir ce que deviendra ta fratrie sans se soucier d’un bébé.

Il t’aime assez pour admettre qu’il ne te mérite pas. 

C’est ce qu’on appelle le respect de soi et ça, c’est important. Il faut savoir reconnaître et accepter nos limites. C’est une belle leçon à retenir. 

Et moi aussi, je t’aime. Je t’aime à me déchirer le cœur. Toutefois, force est d’admettre que nous ne pouvons pas t’offrir tout ce dont tu auras besoin pour t’épanouir.

Tu dois savoir que ton « non-papa » est un être fantastique ! Il est ma moitié, l’homme de ma vie. Me voir endeuillée de la sorte le rend malheureux. Il se sent responsable de ma douleur, il aimerait pouvoir me soulager… mais il ne peut pas. Il n’y a rien à faire, rien à dire. 

Je dois seulement patienter. Le chagrin de ne jamais te tenir dans mes bras finira par s’estomper, comme tous les deuils.

Même si je te veux de tout mon cœur, je ne pouvais pas lui forcer la main. J’aurais souhaité qu’on partage la joie de t’attendre, de se regarder avec complicité quand tu m’aurais donné, au creux de ma bedaine, tes petits coups de pied.

Toi et moi, nous aurions développé un lien spécial, mon bébé, ma petite dernière. J’en aurais savouré chaque miette !

Mais, ma dernière, ce n’est pas toi. C’est Nora, ta grande sœur.

Si j’avais insisté, il aurait plié. Il n’aurait pas supporté de vivre ce débat à répétition. Mais tu n’aurais été qu’à moitié désirée… et cette vision est d’une tristesse immense ! 

Maintenant que tu sais tout, je t’embrasse pour la dernière fois et souffle sur ta poussière d’ange pour qu’elle s’envole vers le ciel. 

Je te rends à l’univers pour que tu rencontres ta vraie maman et ton vrai papa. Tu mérites bien plus que nous.

Je te souhaite un bon voyage, mon bébé.

Ta non-maman qui t’aime, Clara. »

Assise sur le lit, je pose le journal à côté de moi. Je m’étais préparée à lire bien des choses, mais jamais je n’aurais imaginé tomber sur le plaidoyer poignant d’une mère face à l’abandon d’une grossesse.

Une vague de confusion et de tristesse m’envahit. Comment ce récit pourrait-il m’aider à sauver Tom ?

— Oh, petite Framboise, je murmure en caressant mon ventre. Ce récit est d’une tristesse indescriptible ! Ne t’inquiète pas, jamais je ne pourrais faire une chose pareille. Jamais ! On formera une magnifique famille, toi, ton papa, ton grand frère et moi !

Le revers de la médaille me fait quand même réfléchir un instant. Cette femme désirait son bébé, mais pas son mari. Et si Tom m’avait demandé de choisir ? Non, cette idée est insupportable. M’imaginer à la place de cette Clara me fait trop mal.

J’ai déjà connu la douleur de perdre un enfant. Je ne peux pas comprendre, je ne veux pas comprendre.

Frustrée et désorientée par les émotions que me procure cette lecture, je retrouve Joey. Il m’attend sur le bord de la rivière, les pieds dans l’eau. 

— Tu as trouvé ce que tu cherchais ? 

— Je crois, je réponds en lui montrant ma trouvaille.

— Bien entendu, la clef est un journal ! dit-il sur un ton sarcastique.

Je m’assieds à ses côtés et dépose ma tête sur son épaule pour taire le vacarme de mes pensées.

Je ferme les yeux et me concentre sur ma respiration. À répétition, j’inspire profondément et relâche l’air emmagasiné avec une  longue expiration. Joey, toujours silencieux, suit mon rythme et les pressions qui pesaient sur nos corps se dissipent à l’unisson. Son bras m’enlace et il appuie sa tête sur la mienne en laissant échapper un son de satisfaction. 

Il n’existe pas de plus grande beauté que la forêt et la vie qui l’habite. Je me force à vivre le moment présent comme jamais. Je veux tout entendre, tout ressentir de cette perfection qu’est la vie sauvage. J’ai besoin de remplir mon réservoir de cette sérénité avant de retourner dans le monde. Le vrai monde. Celui que je déteste tant.

Un oiseau se perche sur une branche et siffle une douce mélodie. Un deuxième vient le rejoindre et, dans un bruissement d’aile, ils s’envolent pour disparaître dans les nuages. 

Des craquements saccadés dans les feuilles au sol trahissent un écureuil nerveux et un corbeau croasse en nous survolant.

La nature m’inspire. Elle est forte et résiliente. Tout ce qui s’y trouve a sa raison d’être et en est un maillon important. La forêt est honnête, elle habite les prédateurs et cache les proies. Elle se nourrit de chacun et les remercie en protégeant les deux camps de sa richesse et de sa force. 

Sauvage, brutale, réconfortante et apaisante.

Si le président de l’Ouest prend possession du territoire, je crains qu’il détruise toute cette beauté. Devrais-je me rendre dans les quartiers et dévoiler son plan ? Ça ne changerait probablement rien. On ne possède pas les armes nécessaires pour riposter en plus d’être affaiblis par son attaque. Alicia a sans doute raison, on doit arrêter le président… et tous ceux qui pensent comme lui.

Mon ventre gargouille et rompt la magie du moment. Prise à nouveau de nostalgie, je demande à Joey s’il sait pêcher.

— Non !

— Allez, suis-moi ! Je te montre comment !

Je l’entraîne dans la portion peu profonde de la rivière et tente d’être à la hauteur des enseignements de Tom. Je lui explique comment bâtir le barrage et la technique pour les capturer.

— Il suffit de s’en approcher doucement, et lorsqu’un poisson se retrouve dans l’ombre de tes mains, tu effectues un mouvement rapide et hop ! Tu l’attrapes !


Tu as aimé cette lecture? Tu aimerais probablement mon roman! Le tome 1 est disponible dans ma boutique en ligne, et le tome 2, (celui dans lequel se trouve cet extrait) est présentement en correction et sera publié bientôt !

Suis-moi sur facebook pour ne pas manquer la sortie!


En savoir plus sur Librairie Bohème

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Laisser un commentaire