Elle va mourir 3/3

Cet article conclut une série de trois volets consacrés à la mort de ma grand-maman. J’espère que cette lecture vous aura ramené de doux souvenirs de quelqu’un parti trop tôt.

Premier : Elle va mourir 1/3

Deuxième : Elle va mourir 2/3


Elle est morte

Elle est partie.
C’est arrivé. 

Mais avant, nous avons eu le privilège — peut-être un peu égoïste — de la revoir une dernière fois. On a même plaisanté sur son incroyable immortalité.

Pauvre elle.
Mais c’est fini, maintenant. Elle est enfin en paix.

Que reste-t-il alors de ma douce et belle grand-maman Julia?
La seule chose possible : de l’amour et des souvenirs.

Il m’a fallu bien du temps avant de la voir autrement qu’avec mes yeux d’enfant. C’est drôle, elle m’a toujours semblé si vieille! Pourtant, jamais plus vieille que la fois précédente. J’imagine qu’une grand-maman, ça a toujours l’air vieux.

Je me souviens encore de la fierté que j’éprouvais à l’avoir pour grand-maman. Quand elle venait nous rendre visite,  elle passait par la cour d’école et jouait au ballon avec nous.

— Allez, on botte le ballon!
Et je te jure, le ballon revolait sur un méchant temps!

— C’est pas ma grand-mère qui ferait ça! disaient mes amis.
— La mienne, si! Même si elle est super vieille!

Elle était en pleine forme.

Évidemment, elle a laissé sa marque partout. Surtout dans ce qu’incarnent Noël pour moi. Chaque année, elle faisait la route entre Chicoutimi et St-Paulin pour célébrer avec nous. Son arrivée marquait toujours le début des vacances. Alors, ce n’est pas étonnant que le premier Noël sans elle ait été si brutal. Son image m’est revenue d’un coup, comme un éclair.

Non. Elle ne sera pas là cette année. L’année prochaine non plus.

Quand je ferme les yeux, je revois le gigantesque sapin de ma mère, étincelant de lumières multicolores, et j’entends ma grand-maman chanter les classiques de Noël.

Elle adorait chanter.

Sans même m’en rendre compte, ses visites avaient façonné chaque Noël, imprégnant cette fête de son essence et de ses traditions. Impossible de passer un Noël avec elle sans son fameux macaroni chinois et, bien sûr, l’indispensable messe de minuit.

Entre chez elle et chez nous, la route était longue. Elle venait en train. Je me revois, les pieds balançant, attendant patiemment sur le quai ce train qui arrivait toujours en retard.

La grande locomotive s’arrêtait enfin, et une petite porte s’ouvrait sur un wagon. Elle descendait les trois petites marches, attrapait sa valise et levait les bras de bonheur :
— Je suis arrivée!

Bien des années plus tard, c’est moi qui suis descendue de ce train après ce que je croyais être ma dernière visite. Cette fois-là, je l’ai rencontrée vraiment, avec mes yeux d’adulte.

C’est étrange, elle m’a semblé aussi vieille que quand j’avais 10 ans. Une grand-maman, c’est toujours vieux, non?

Mais à ce moment-là, botter un ballon aurait été impossible pour elle. Même une fourchette semblait trop lourde, et ses yeux aveugles ne trouvaient plus les petits pois dans son assiette.

Ma grand-maman devrait pouvoir faire tout ça.

Malgré tout, ses appareils auditifs nous ont permis de partager un dernier moment musical. Assise au bout de son lit, j’ai posé mon téléphone et laissé Ave Maria jouer. Elle aimait tant cette mélodie. J’étais heureuse de lui offrir cet instant d’évasion.

Elle était vieille, c’est vrai, mais jamais trop pour prendre soin d’elle. Je lui mettais du vernis et lui massais les mains encore et encore.

Elle aimait être touchée.

Quand je suis descendue des trois petites marches du train après cette visite, mes pensées étaient restées accrochées à ses mains fripées, celles que j’avais caressées avant de partir. Je me sentais prête à recevoir l’appel qui annoncerait son départ.

Mais je ne l’ai jamais eu.

Et pour cause, elle ne mourrait pas!

Même si elle le désirait.

Elle était épuisée. Emmerdée par sa vie. Aveugle, sourde et faible.

— J’en ai assez d’embrasser les cadres de portes! se plaignait-elle lorsqu’elle tombait.

Puis, le téléphone a enfin sonné, non pour m’annoncer son décès, mais pour m’inviter à sa fête. Pour ses 93 ans, elle nous avait tous conviés au restaurant.
— Je veux vous voir une dernière fois. Après ça, babaille! Je pars retrouver Rolland.

Elle avait choisi son cadeau : la mort assistée. L’immortalité ne l’intéressait pas le moins du monde.

C’est donc cet appel que j’ai reçu. Un dernier voyage à Chicoutimi pour un dernier baiser.

Elle m’a fait rire, elle m’a émue, et elle m’a fait pleurer.

Ce jour-là, dans sa petite chambre de résidence, je suis arrivée avec mes deux enfants et mon neveu Théo. Elle était si heureuse de nous voir!

— Approche, Théo! a-t-elle dit en décrochant le combiné du téléphone et en composant le numéro de ma marraine.
— Allô? Maman, c’est toi?
— Non, c’est Théo!
— Théo, qui?
— Eh bien, Théodore!
— C’est qui, ça?

Et elle a raccroché en éclatant de rire. Elle s’est alors tournée vers Caleb et a recommencé son tour.

— Allô? Maman? Qui est dans ta chambre?
— C’est Caleb!
— Caleb? Le fils à Marie-Michelle?
— Oui!
— Ah! Passe-moi maman!

Elle s’amusait à faire des blagues au téléphone avec les enfants. Oui, elle était vieille, mais pas tant que ça.

Puis elle s’est tournée vers moi avec mon livre dans les mains.
— Marie, j’aimerais que tu me lises un passage de ton roman.

Parmi tous mes souvenirs d’elle, celui-ci est particulier. Je lui ai lu le premier chapitre, juste celui-là. Plus, et je me serais effondrée.

Que je l’aime.

Mes enfants l’ont serrée dans leurs bras, et ma fille, avec une tendresse infinie, m’a émue aux larmes.

Après le souper, je l’ai raccompagnée à sa chambre. J’aurais souhaité que le corridor soit plus long. Je n’avais aucune envie de partir.

— Grand-maman, c’est la dernière fois que je te vois.
— Oui.
— Je t’aime.
— Moi aussi. Arrête de pleurer!
— Je pleure parce que je suis contente pour toi.
— Ah, d’accord, alors.

Elle est morte le lundi à 19h, juste après avoir reçu ses soins du soir.
— Pour faire comme si j’allais me coucher pour de vrai, avait-elle dit.

Entourée de ses trois enfants, avec Ave Maria en fond sonore, elle s’est doucement endormie.

Moi, je n’étais pas là. J’étais déjà chez moi, beaucoup trop loin de Chicoutimi. Enroulée dans son châle, j’ai allumé une chandelle et appuyé sur play à 18h58 pour faire jouer Ave Maria.

J’ai pleuré. Pleuré encore et encore.

À 19h05, j’ai soufflé la bougie et lui ai dit adieu.

Cette nuit-là, je me suis réveillée avec la sensation vive qu’elle était près de moi. J’ai tendu la main et, du bout du pouce, j’ai caressé sa main, comme je le faisais avant.

Et puis, elle est partie.

Je t’aimerai toujours, ma belle et douce grand-maman.

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Merci =) Gros Câlin -XXX-


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