Tu ne me suis plus – Mon deuil animalier

Ma belle Yoshie,

Toi et moi, nous avons vécu ensemble neuf années extraordinaires. Je ne saurais exprimer combien je suis reconnaissante de tout ce que tu m’as offert.

Quel privilège d’avoir reçu tes « lichettes » par milliers !

Toi et moi, nous avons partagé notre espace de façon si étroite qu’il était inutile de te chercher. Soit tu te tenais au pied du lit, soit tu étais couchée sous mon bureau. Sinon, tu marchais un peu devant moi durant nos innombrables balades en forêt — mais jamais bien loin !

Je dois avouer avoir du mal à m’adapter à cette solitude. 

Parfois même, j’oublie. J’étire mon pied pour te flatter. 

Il percute le vide et je manque d’air.

Le plus difficile est que j’entends que tu n’es plus là. 

Lorsque je change de pièce ou que je descends les escaliers, le silence me transperce brutalement. J’ai beau tendre l’oreille, le cliquetis de ta médaille et le grincement de tes griffes sur le plancher font écho au néant. 

Tu ne me suis pas. 

J’aurais dû offrir plus d’attention à tous ces sons. Car, sans que je m’en aperçoive, ils m’apaisaient, me sécurisaient.

Maintenant, je les déteste. Ils passent leur temps à crier par leur mutisme, me prouvant du même du coup que tu ne te lèves pas en même temps que moi.

La vérité est que tu ne me suivras plus.

Plus cruelle que le silence: la porte. Je l’ouvre et elle m’oblige à traverser seule son seuil. La brûlure qu’elle m’inflige est sans aucun doute la pire sensation que j’ai expérimentée de toute ma vie.  Quoique le balcon ne donne pas sa place non plus. Je regarde par la fenêtre pour t’y voir et puis ça me rattrape : tu n’es pas là.

Tu ne seras plus jamais assis devant la baie vitrée à attendre que je te laisse entrer.

La galerie est vide.

Ce matin-là, j’ai coupé quelques-uns de tes poils pour les ranger minutieusement dans une pochette.

Ensuite, je me suis étendue près toi et j’ai plongé mes mains dans ta fourrure sombre.

Je m’y suis accroché comme si ma vie en dépendait. 

C’était exactement ça, en fait.

Comment vivre sans toi ? 

Tout en retenant ma respiration, j’ai attendu que le vétérinaire t’injecte le médicament pour ton départ. 

J’ignorais que le temps pouvait ralentir. Maintenant, je peux en témoigner à qui ose me contredire. Les quelques secondes qui se sont écoulées en cet instant ont clairement duré beaucoup plus longtemps qu’elles ne l’auraient dû.

Mon front contre le tien, j’ai perçu avec horreur ton dernier souffle. Ton corps s’est relâché et mon cœur s’est déchiré. Le choc d’avoir senti la vie te quitter m’a été si intense que j’ai été malade. 

À travers mes sanglots, j’ai répété en boucle : je veux revenir en arrière. J’ai changé d’idée. Je veux revenir en arrière.

Mais le temps avance à sens unique. C’est impossible de faire marche arrière.

Si j’avais pu, je ne t’aurais jamais lâchée. Mais je n’avais pas vraiment le choix. J’ai dû regarder, impuissante, la vétérinaire te déposer respectueusement dans un sac. 

Une housse mortuaire… tu es partie de la maison dans une poche noire.

Alors que la voiture sortait de la cour, je suis restée sur le balcon. 

Je ne t’ai pas suivie.

Depuis, c’est toi qui tu ne me suis plus. C’est terrible.

Quelques semaines plus tard, tu es revenue dans une boîte en bois. 

De la poudre de Yoshie. 

Je déteste savoir que tu entres dans un si petit objet.

Je hais également ne plus pouvoir mettre mon nez dans ton poil.

Un jour, j’imagine que le souvenir de ta grosse bouille qui appuie son menton sur le divan me fera sourire, mais pour l’instant je n’y arrive pas. 

Pour le moment, je souffre, je pleure, je rage et je m’ennuie.

Je n’étais pas prête. Je ne l’aurais sans doute jamais été.

Je t’aime tellement, ma Didi.

Toi et moi, on le sait que notre lien unique ne sera jamais égalé. 

Toi et moi, on le sait que c’était spécial et que ça ne se duplique pas.

Toi et moi, c’était toi et moi.

PS. Tu peux me rendre visite de temps en temps. On ira marcher ensemble.

PPS. Tu resteras à jamais un membre de notre famille.


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2 commentaires sur « Tu ne me suis plus – Mon deuil animalier »

  1. Mes sympathies ma belle amie!

    Je suis de tout coeur avec toi…. J’ai une bonne idée de ce que tu vis puisque je suis passé par là, il n’y a pas si longtemps…. C’est tellement difficile…..

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