Elle va mourir, partie 2/3 (récit)

Cet article est la suite Elle va mourir 1/3, alors que ma grand-maman vit ses derniers moments.

Je t’invite à entrer dans ce récit avec bienveillance. Rien ici n’est écrit pour blesser ou juger, mais simplement pour ressentir, réfléchir et aimer. Merci de prendre ce moment avec moi

Bonne lecture.

Printemps 2023, Chicoutimi.

Deuxième visite à l’hôpital.

J’entre dans la chambre. Le ciel a perdu de sa splendeur, les nuages cachent le soleil et tout me semble gris et froid. 

Je frissonne et reprends ma place sur le fauteuil. Tout en sirotant mon café, j’attends qu’elle se réveille.

— Elle est où, Marie ? murmure-t-elle  en ouvrant les yeux.

— C’est moi, Grand-maman !

— C’est toi ? Oh. Pourquoi tu n’es pas reparti ? Tu as un mari et des enfants.

— Parce que je t’aime et je ne veux pas que tu sois seule.

Ses petits bras maigres se tendent vers moi. Mon visage entre ses mains, elle flatte mes joues. Son regard bleu se plonge dans le mien.

— Donne-moi quelque chose pour que je ne me réveille plus. 

Comment réagir ? Qui peut être préparé à une telle demande ?

Du haut de ses 90 livres, elle peine à remplir son lit d’hôpital. Je me sens géante alors que j’y prends place et qu’elle appuie sa tête contre moi.

— À cause, que je pleure ? s’enquit-elle.

— Parce que tu es fatiguée et que tu es prête.

— Oui, oui. C’est ça.

La dureté de son corps me rappelle un arbre en fin de vie. Impossible de la comparer à une statue, ces objets sont sans vie et ne pleurent pas. Mais je crois que les arbres, oui. Tels les humains, ils grandissent, survivent à des tempêtes et vieillissent. Ils passent de solides à faibles pour laisser la place aux jeunes pousses. 

Ma grand-mère est un sapin en fin de vie. 

Je repositionne sa chemise qui avait glissé et grimace. La rondeur de ses épaules est trop prononcée et ses hanches sont trop définies. Je n’avais jamais vu la forme des os autrement que sur des images, ce n’est pas beau. Où se cache sa chair ? Je ne devrais pas être en mesure de compter ses côtes.

Je crains de la blesser en déposant ma tête sur la sienne et la manipule avec autant de précautions qu’avec un nouveau-né.

Elle marmonne quelques mots et s’endort. Immobile, je fixe le vide.

Hier seulement, je la trouvais forte et inébranlable. 

Ce contraste me déplaît. Un brin de colère me serre l’estomac.

Quelques minutes passent et elle rouvre les yeux. 

— Pourquoi je suis à l’hôpital ?

— Parce que tu ne respirais plus.

— Ho ! Catastrophe ! Je suis à l’hôpital !

Plusieurs heures se sont écoulées, je ne les ai pas comptés.

Assis au bout du lit, on se regarde sans parler. Je la sens épuisée.

— Je veux mourir et voir Rolland, soupire-t-elle. Mais, mes enfants ne sont pas prêts.

Grand-maman, Grand-papa, maman et oncle René
Grand-maman, Grand-papa, maman et oncle René

Troisième visite

Le repas est servi. Sa cuillère est trop lourde. On doit y aller doucement, car entre chaque bouchée, elle s’essouffle. 

Le soleil s’est couché et ses yeux se ferment pour la nuit. Je retourne dans son appartement. Celui dans lequel elle ne remettra plus jamais les pieds. On me l’a confirmé aujourd’hui.

Quatrième visite

— Je t’aime Grand-Maman. Ton garçon est arrivé, il prend le relais. Je dois retourner chez moi.

Convaincue de ne plus jamais la revoir, je l’embrasse en pleine conscience. C’est mon dernier baiser.

Le train siffle, je monte les trois petites marches et choisis mon banc. Le front contre la vitre, je m’abandonne à mon chagrin et laisse les sanglots que je retenais me secouer.

En recherche de réconfort, j’enfouis mon visage dans son châle. 

Il était déposé dans son entrée et sa vue m’apaisait. Je me suis autorisé à le prendre comme doudou. De toute façon, elle ne le portera plus, non ?

Je le frotte contre ma peau et j’espère de tout mon cœur qu’elle mourra bientôt.

Quelle pensée horrible ! Mais aussi honnête et remplie de compassion.

Grand-papa Roland tape du pied d’impatience, il commence à trouver le temps long sans sa belle Julia.

Ils sont prêts à être réunis. Que le destin s’en charge, et vite, s’il vous plaît!

L’amour, le vrai. Julia et Rolland.

Ma grand-maman décèdera finalement en septembre 2023.

Le dernier chapitre, celui de nos adieux, est enfin prêt. Il m’aura fallu 15 mois pour le rédiger.

Le voici : Elle va mourir 3/3

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Merci =) Gros Câlin -XXX-


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4 commentaires sur « Elle va mourir, partie 2/3 (récit) »

  1. WoW superbe j ai adore et de plus, j ai connu ta grand mère ton grand-père et ta mère et tante et oncle. Je me souviens qu elle était surnommée Tigou. Bravo tu as beaucoup de talent.

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